Médecine et Philosophie : Anne Fagot-Largeault, PUF, janvier 2010.
La parution de ce livre de la part d’Anne Fagot-Largeault, médecin et philosophe, ne pouvait que susciter mon intérêt dès sa parution. Ce livre traite avant tout de problèmes éthiques, ce qui est certes indispensable en philosophie de la médecine mais est loin de résumer tous les problèmes qui peuvent être soulevés dans cette discipline. Et l’on pourrait reprocher au titre de ce livre de ne pas être en accord avec son contenu.
L’introduction de ce livre est courte (cinq pages) et pose très bien le problème de la médecine contemporaine telle qu’elle est considérée par la majorité du corps médical. C’est pour cette raison qu’il a paru important de le commenter.
Que nous dit l’auteur ? Tout d’abord que « la médecine n’est pas une science, mais une pratique de recherche » (page 1). On est bien loin de l’art médical de guérir dans cette optique…
Page suivante, on peut lire cette phrase qui invite à la discussion : « Sa difficulté (à la médecine) est d’avoir à intervenir toujours un peu plus loin qu’elle ne sait, étant donné la variabilité individuelle et le caractère inachevé du savoir ». On dirait (mais je me trompe peut-être) que l’auteur regrette cela, alors que, au contraire, les inconnues des connaissances médicales et l’importance de l’individu dans ce qu’il a d’unique et irremplaçable sont sans aucun doute une des richesses de notre discipline.
Ensuite, Anne Fagot-Largeault expose sa vision philosophique de l’acte médical, affirmant en préambule que « la médecine est intrinsèquement philosophique ». Elle développe donc trois propositions qui sont les suivantes : 1/ il y a du mal dans le monde ; 2/ on peut y porter remède ; 3/ il faut y porter remède ; même si les efforts pour y porter remède sont finalement dérisoires, il faut les poursuivre, « pour l’honneur ».
Il semble intéressant de développer ces trois propositions et d’y apporter une contribution différente de celle de l’auteur de cet ouvrage.
En premier lieu, il est sûr qu’il y a du mal dans le monde, mais pour autant faut-il comme le fait Anne Fagot-Largeault, approuver Thomas Huxley (ami de Darwin) ? Pour lui, la vocation de l’homme est de combattre l’ordre naturel, en protégeant les faibles et en soignant les malades. Il n’est pas sûr que tous les professionnels de santé approuvent le fait de combattre l’ordre naturel, et jugent que la nature n’est pas bien faite, et que l’homme peut mieux faire que la nature, comme l’affirme Anne Fagot-Largeault. Qu’en est-il de la « Natura medicatrix » chère à Hippocrate ? Cette vénérable institution hippocratique n’est-elle pas aux antipodes de la volonté affichée par la médecine contemporaine allopathique de se rebeller contre le cours naturel des choses, comme l’affirme l’auteur de ce livre ? Au lieu d’avoir une vision manichéenne des choses, ne serait-il pas plus judicieux, certes d’accepter qu’il y a des malheurs dans le monde (plutôt que du mal), mais que la responsabilité n’en incombe pas toujours à la nature, à quelque chose d’extérieur à nous, mais que l’homme est pleinement partie prenante de ce malheur, et qu’il peut au contraire se servir des côtés positifs de cette nature pour alléger ou même supprimer ce malheur ? Il faut ici revenir aux travaux de Laplantine dans son Anthropologie de la médecine (voir l’article du site sur l’anthropologie de la médecine homéopathique) pour voir qu’Anne Fagot-Largeault reprend dans cet ouvrage la vision d’une médecine scientiste où l’ennemi est l’autre et où l’homme n’a que très peu, voire pas du tout, de responsabilité dans ses problèmes de santé. Cette idée est confirmée par le recours de l’auteur aux liens de cause à effet, à une stratégie de contre, qui sont deux concepts bien reliés à ce type de médecine.
Enfin, le fait de tenir compte de la « Nature medicatrix » ne veut absolument pas dire comme voudrait le faire croire l’auteur, que « la nostalgie demeure, chez beaucoup de nos contemporains, d’une nature idyllique, sagement autorégulée, où l’initiative humaine serait source e dérèglements catastrophiques ». On peut vouloir se servir des côtés positifs de la nature (nature humaine comme nature dans son ensemble), sans pour cela rester aveugle aux côtés négatifs de cette même nature, bien au contraire.
Pour terminer avec cette introduction de ce livre, nous ne pouvons qu’approuver l’accent mis dans le dernier paragraphe sur l’essentiel de la morale médicale : primum non nocere. Oui, mais il faudrait en tenir compte dans tout les domaines de la santé : bien sûr qu’il faut de la compassion, qu’il faut respecter l’individu et respecter et/ou renforcer son désir légitime d’autonomie. Mais il faudrait aussi ne pas nuire aussi dans le domaine du médicament, et pour cela utiliser à chaque fois que l’on peut des thérapeutiques non nocives. Et cela, est-ce que l’allopathie en est capable ? Le devoir éthique du médecin n’est-il pas à ce moment là de connaître les possibilités de thérapeutiques alternatives et complémentaires, soit pour les utiliser, soit pour confier à des confrères spécialisés dans ces thérapeutiques, à chaque fois que c’est possible et quand la réponse allopathique n’est pas exempte de risque d’effets secondaires sérieux ?
Philippe Colin
|